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23oct18
«Ils nous ont utilisés, puis jetés»: le témoignage d'un ancien «casque blanc» en Syrie
Depuis peu, il est redevenu possible de visiter la place située devant la mosquée d'al-Omari, au sud de la ville syrienne de Deraa. En 2011, c'est là qu'avaient commencé les premières grandes manifestations contre les autorités du pays, qui ont ensuite entraîné la guerre civile.
Aujourd'hui, le drapeau syrien a été de nouveau hissé au-dessus de la mosquée d'al-Omari. C'est le seul à flotter au-dessus de la ville. C'est ici, dans l'ancien bâtiment de la police, que s'était installé pendant sept ans le siège de la «défense civile» — plus connue sous le nom de Casques blancs. Après la réconciliation, les opposants ont rendu le bâtiment à l'État.
Un correspondant de Sputnik s'est rendu à Deraa, où il a rencontré l'ancien chef des Casques blancs de la ville, Hassan Farouk Mohammed, et ses collaborateurs, qui ont parlé de leur activité et de l'organisation du travail de la «défense civile» locale avec les Casques blancs.
Les réconciliés
La ville était toujours divisée en deux parties — ancienne et nouvelle. La vieille ville, également appelée Deraa al-Balad, a connu en 2011 les premières manifestations antigouvernementales, qui ont été l'étincelle dans la «poudrière syrienne».
Sept ans plus tard, grâce à la diplomatie militaire russe, les représentants de l'opposition armée ont accepté de se réconcilier et de cesser la guerre.
A Deraa al-Balad se trouvent encore des combattants de l'Armée syrienne libre (ASL), qui ont été autorisés à conserver leurs armes pour maintenir l'ordre dans leurs quartiers.
Une visite de l'ASL
A l'entrée de la vieille ville de Deraa se trouve un poste de contrôle de l'armée syrienne, après lequel la responsabilité du maintien de l'ordre incombe aux anciens combattants. Comme convenu, à 200 m du poste de contrôle, un combattant de l'ASL réconcilié accueille les journalistes pour les mener au chef, Abou-Charif.
L'accompagnateur est peu bavard, a le regard méfiant, porte des traces de blessures par éclats sur les jambes et dont les doigts sont posés sur une vieille Kalachnikov.
Nous roulons au milieu des ruines des quartiers résidentiels. Des travaux de reconstruction se déroulent déjà à plusieurs endroits, dans les maisons de ceux qui ont encore de l'argent.
Abou-Charif ne fait certainement pas partie des pauvres à l'échelle locale: sa maison est déjà partiellement repeinte et des travaux sont menés au premier étage.
«Comment puis-je vous aider et que voulez-vous?», demande le propriétaire en invitant à entrer dans sa cour.
En entendant le souhait de faire connaissance avec les Casques blancs, le chef des combattants locaux se lève très calmement et propose de le suivre.
«Nous sommes des révolutionnaires et nous avons accepté la réconciliation avec l'État pour la paix. Nous ne sommes pas le Front al-Nosra* ou Daech*, qui sont des terroristes. Alors détends-toi, nous allons voir le chef de la police pour tout vous raconter et vous montrer», dit Abou-Charif en se rapprochant des voitures.
Le combattant qui nous accompagnait est plus calme depuis la rencontre, visiblement habitué aux nouveaux visiteurs.
La «défense civile» et les Casques blancs
Au commissariat, nous sommes accueillis par le chef de service. Abou-Charif explique la situation avant de partir en prétextant une urgence. A son tour, l'officier ordonne à son subordonné de convoquer le responsable de la «défense civile», Hassan Farouk, dont la maison se trouve à deux pas du poste de police.
Nous sortons dans la cour — il fait trop chaud dans le bureau du chef de la police. Le combattant assigné pour nous accompagner ne s'éloigne pas d'un pas. Hassan Farouk arrive rapidement avec ses «collègues».
«Je voudrais passer un message par votre intermédiaire, que tout le monde l'entende. Les Casques blancs sont une organisation politisée qui n'a rien à voir avec la neutralité. Ils ont rempli leurs tâches, puis ils nous ont abandonnés», raconte sans détours Hassan Farouk devant un camion de pompier stationné dans la cour du commissariat.
Selon cet ancien «casque blanc», les représentants de cette organisation, sous couvert de bonnes intentions, ont pris le contrôle de tous les bureaux de la «défense civile» sur les territoires contrôlés par les combattants. La direction de l'organisation, explique Farouk, siégeait à Idlib et en Turquie. Un financement était également alloué aux bureaux de la «défense civile». Concrètement, à Deraa, de par sa proximité avec la frontière sud du pays, les équipements de sauvetage nécessaires étaient achetés en Jordanie.
«Il n'était pas du tout question d'aide humanitaire ou de quoi que ce soit du même genre. Les contrebandiers achetaient des équipements en Jordanie pour nous les vendre plus cher — c'étaient simplement des affaires. Et la direction des Casques blancs nous a abandonnés après avoir rempli sa mission politique», raconte Farouk en montrant les ballons d'oxygène, les masques à gaz, les casques et les vêtements spéciaux d'origine allemande. Les équipements de sauvetage, manifestement achetés il y a peu de temps, sont pratiquement tous neufs dans leur emballage.
Selon le secouriste, un groupe de volontaires avait été créé à Deraa avant l'apparition des Casques blancs. Tous les hommes qui le constituaient remplissaient volontairement des missions de sauvetage. Deraa ne recevait pas de directives du nord pour organiser des provocations et des mises en scène.
«Nous ignorons ce qui se passe dans la banlieue de Damas, d'Alep et d'Idlib. Il est possible que ce soient des ordres politiques du nord qui ont été exécutés moyennant financement», avance l'un des anciens subordonnés de Farouk.
L'ancien supérieur des Casques blancs nous invite dans sa cour arrière pour boire du jus et poursuivre la conversation. Le cercle des interlocuteurs s'est nettement agrandi, et deux autres anciens «casques blancs» se sont joints à la discussion.
«Le fait que nous ne sommes pas disparus après la réconciliation et parlons avec vous aujourd'hui prouve que nous remplissons honnêtement nos obligations directes et que nous n'avons aucune raison de craindre la prison ou les poursuites. Nous sommes tous des locaux. Dès que le pouvoir est revenu nous avons remis à sa disposition notre ambulance, nos anciens hommes travaillent aujourd'hui dans cette partie de la ville, ils débloquent les routes et aident à dégager les décombres», explique l'un des nouveaux arrivants.
Un mystère non élucidé
Nous passons à l'histoire récente de l'évacuation de 300 «casques blancs» depuis le sud de la Syrie via Israël vers la Jordanie à la demande des USA et de plusieurs pays européens.
A ce moment, le collectif perd de son éloquence. Farouk affirme que seulement quatre de ses hommes sont partis, soi-disant à la recherche d'une vie meilleure à l'étranger. Les autres «collègues» qui sont partis étaient de la province voisine de Quneitra. Sa réponse n'ira pas plus loin. Les phrases brèves des interlocuteurs indiquent que les personnes évacuées n'étaient que des citoyens syriens qui avaient supposément peur des persécutions de l'État.
Sans pour autant répondre à la question de savoir pourquoi, dans de telles circonstances, l'Europe et les USA n'ont pas évacué vers leur territoire les Syriens d'autres provinces. Qui faisait partie des 300 «élus»? C'est toujours un mystère.
Plus tard, dans une autre partie de la ville sans combattants, en parlant des «casques blancs» évacués un interlocuteur a supposé que les membres de l'organisation transférés via Israël travaillaient avec les services occidentaux et disposaient d'informations sur les mises en scène d'attaques chimiques, et que leur évacuation fait partie de la récompense pour avoir rempli un ordre politique.
En juillet, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères israélien a annoncé qu'Israël avait évacué de Syrie des activistes des Casques blancs avec leur famille à la demande des USA, du Canada et des pays européens. Les médias locaux écrivaient que pendant une opération nocturne, près de 800 personnes avaient été évacuées via Israël vers la Jordanie. L'ex-premier ministre jordanien Mamdouh al-Abadi a déclaré que les membres des Casques blancs seraient accueillis pour une période de trois mois.
Il a été annoncé qu'environ 300 membres de l'organisation avaient déjà quitté la Jordanie, où ils se trouvaient temporairement, pour s'installer dans des pays occidentaux. Le Royaume-Uni, l'Allemagne et le Canada se sont engagés devant Amman à les accueillir d'ici trois mois.
Les habitants parlent des sauveteurs
Une tentative de connaître plus de détails sur l'activité des Casques blancs a été entreprise il y a deux ans à Alep et ce printemps dans la Ghouta orientale. Cependant, peu pouvaient parler de l'activité de l'organisation dont les membres ont mystérieusement disparu à la fin des activités militaires en laissant derrière eux seulement des casques usés et leurs emblèmes peu nombreux sur les murs des immeubles.
«Nous devons être un pilier de la reconstruction de la nouvelle Syrie. Nous avons aidé et sommes prêts à aider tout le peuple syrien, peu importe où. Mais les Casques blancs ont gâché la réputation de la «défense civile» en remplissant leur mission sous couvert des volontaires», explique Farouk.
Le temps passe, les verres de jus ont été vidés pendant cette conversation captivante. Le combattant qui nous accompagne semble s'ennuyer. Dans sa tête, comme dans celle des milliers d'autres, se trouve sa propre réalité de la crise syrienne, qui ne coïncide pas du tout avec celle qui est connue des Syriens qui vivaient sous la protection de leur État, et non derrière les promesses vides de leaders douteux financés depuis l'étranger.
[Source: Sputnik News, Moscou, 23oct18]
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