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21fév18
Haut-Karabagh: après 30 ans de conflit, la médiation française en panne de solution?
Quel rôle joue la France dans la crise du Haut-Karabagh? À l'occasion du 30ème anniversaire de la sécession du Haut-Karabagh, Sputnik revient sur les évènements marquants de ce territoire qui concerne directement l'Azerbaïdjan et l'Arménie. Partenaire stratégique de ces deux pays, la France est-elle le grand médiateur pour la résolution du conflit?
Si pour les uns, la crise du Haut-Karabagh n'est qu'une «sécession et l'autodétermination d'une population autochtone face à un État prédateur», pour d'autres, c'est un «conflit qui oppose l'Arménie et l'Azerbaïdjan».
Deux définitions qui épousent peu ou prou les visions des deux pays impliqués dans le conflit, l'Arménie et l'Azerbaïdjan: la première est celle d'un expert politique, Laurent Leylekian, la seconde celle du Président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), Emmanuel Dupuy.
«Dans l'immédiate succession du 20 février 1988, il n'y a pas eu «des heurts entre Azéris et Arméniens ». Il y a eu des pogroms anti-arméniens […] Les évènements-clés sont sans doute ces pogroms qui provoquèrent d'abord un mouvement d'autodéfense, puis une guerre de libération nationale.»
Laurent Leylekian, s'il rappelle que «l'origine lointaine du conflit apparaît en 1918», confirme le rôle clef des événements de 1988 pour comprendre la situation actuelle au Haut Karabagh. Rappelons que ce 28 février 2018 est le 30ème anniversaire de la sécession du territoire du Haut-Karabagh de la République soviétique socialiste d'Azerbaïdjan.
Territoire encavé dans l'actuel État de l'Azerbaïdjan, le Haut Karabagh est une république autoproclamée de Transcaucasie. Composé en majorité d'Arméniens, il est soutenu par l'Arménie contre l'Azerbaïdjan.
Pour Laurent Leylekian, il ne s'agissait pas d'affrontements entre deux nations, mais plutôt de l'agression d'un État sur une population. Emmanuel Dupuy conçoit pour sa part que cette date ne soit pas anodine, puisque c'est à cette période que «le conseil régional du Haut-Karabakh a adopté une résolution portant sur l'union avec l'Arménie». Cependant, il considère davantage que:
«La date du 20 février 1988 n'est pas la plus fondamentale pour comprendre la situation «crisogène» qui prévaut depuis un quart de siècle dans cette partie tourmentée du Caucase du Sud.»
Et de détailler son propos:
«Plusieurs autres dates, pour ne pas dire, la séquence immédiate des premières années de l'indépendance de l'URSS, me semblent davantage refléter la complexité stratégique dans laquelle la question du Haut-Karabakh s'inscrit depuis le début du conflit, en 1988. Alors que l'Arménie et l'Azerbaïdjan obtenaient leurs indépendances en 1991, c'est bien l'année 1992 qui est « fondatrice » dans le conflit qui oppose l'Arménie et l'Azerbaïdjan.»
Si un statu quo s'est maintenu durant des années, Laurent Leylekian et Emmanuel Dupuy estiment qu'en 2018, la situation se rapproche plus d'un état de guerre, comme en 1988 ou en 1992, que d'une paix, certes fragile, mais instaurée, comme en 1994.
Car si aucun traité de paix n'a été conclu à ce jour, le 16 mai 1994, l'Arménie et l'Azerbaïdjan ont signé un accord de cessez-le-feu. Cessez-le-feu fragile, puisque si aucune offensive d'envergure n'a été constatée depuis longtemps, nos deux experts, les populations arméniennes et azerbaïdjanaises, ainsi que la communauté internationale, gardent en mémoire les derniers évènements sanglants d'avril 2016. En effet, du 2 au 5 avril, de violents combats eurent lieu sur «la ligne de contact» entraînant officiellement la perte de dizaines de soldats des deux côtés et surtout une nouvelle fois, de nombreux morts parmi les populations civiles.
De fait, la trêve a sans cesse été violée et ces affrontements s'expliquent aussi par la perte de territoire de l'Azerbaïdjan au profit de l'Arménie, comme l'indique cette carte du monde diplomatique:
Les nombreuses exactions commises sur les populations civiles ont provoqué le déplacement de millions de réfugiés et ont entraîné une prise de conscience de la part de la communauté internationale. Dès 1992, le groupe de Minsk de l'OSCE vit le jour et sa présidence fut partagée entre les États-Unis, la Russie et la France. Mais alors quel est le rôle de ce dernier?
«Il me semble que la France, à l'instar des autres médiateurs, a un rôle tout à fait essentiel d'apaisement. Il faut louer les efforts de médiation consentis depuis des années par Paris et son insistance sur les principes de suivi du cessez-le-feu et de non usage de la force.»
Si Laurent Leylekian loue les appels à un cessez-le-feu de la France, il regrette que Paris n'insiste pas davantage pour que les négociations se déroulent avec le concours, ou du moins la présence, de représentants du Haut Karabagh:
«À mon sens, le rôle du médiateur est d'assurer l'expression des positions de toutes les parties au conflit lors des négociations. L'Artsakh [Haut-Karabagh] n'est certes pas reconnu par les Nations unies, mais il est reconnu comme partie au conflit, ce qui est consigné dans le document final du sommet de Budapest de la CSCE/OSCE. Dans ces conditions, si la France ou un autre pays médiateur n'intègre pas l'Artsakh aux négociations, comment parvenir alors à un règlement négocié?»
Emmanuel Dupuy, lui, expose, par le jeu des dernières visites officielles entre la France et l'Arménie d'un côté puis de la France et de l'Azerbaïdjan de l'autre, le faible concours de Paris dans la résolution du conflit:
«Ni la visite à Paris, le 7 mars 2017, du Président arménien, Serzh Sargsyan, pas plus que celle de son homologue de Bakou, Ilham Aliyev, […] le 13 mars 2017, en lui emboîtant le pas, n'ont changé fondamentalement la donne. Pire, ces visites séquencées dans le temps donnent l'image d'une diplomatie française spectatrice de sa propre inaction, incapable de prendre une initiative «convergente».»
Et s'il salue l'idée de la diplomatie française de se servir des négociations pour l'accord sur le nucléaire iranien conclu en 2015 comme d'un modèle pouvant être appliqué au conflit du Haut-Karabagh, Emmanuel Dupuy considère que la solution se trouve davantage à Moscou et dans les capitales de pays voisins des acteurs concernés, qu'à Paris:
«La France a également indiqué récemment que le modèle des négociations ayant abouti à l'accord sur le nucléaire iranien […] pourrait servir de cadre de négociations. Si tel était le cas, sans doute faudrait-il ajouter les deux pays limitrophes aux partis en conflit: l'Iran et la Turquie. […] Le règlement du conflit réside à Moscou et dépend sans doute aussi de Téhéran et d'Ankara.»
Les élections présidentielles en Arménie en mars et en Azerbaïdjan en avril 2018 pourraient faire évoluer le semblant de statu quo qui prévaut encore sur ce territoire situé au Caucase Sud. En effet, alors que le natif de Stepanakert (capitale du Haut-Karabagh) et actuel Président de l'Arménie, Serge Sarkissian, ne peut se présenter pour un nouveau mandat, son homologue azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, président depuis 2003, cherche lui à se faire réélire une nouvelle fois. Emmanuel Dupuy explique, par ailleurs, que l'élection au poste suprême en Azerbaïdjan a été avancée par Aliyev pour coller à celle de son voisin arménien:
«Selon les sources indépendantes, le scrutin présidentiel anticipé en Azerbaïdjan sont liées directement au règlement du conflit du Haut-Karabakh. Selon ces derniers, en organisant en avril les élections présidentielles (tout de suite après les élections en Arménie), Bakou essaye d'assurer la continuité des négociations de paix sur le Haut-Karabakh.»
Mais ce changement d'hommes au pouvoir pourra-t-il réellement modifier la face de ce conflit et les positions des différents acteurs durant les négociations?
Au-delà de leur différence de représentation de la réalité, les Arméniens et les Azerbaïdjanais –gouvernement et population confondus- semblent extrêmement touchés par le conflit du Haut-Karabagh. Laurent Leylekian va jusqu'à considérer que le conflit ne pourra connaître de dénouement positif que si le système politique de l'Azerbaïdjan change:
«Je pense que la démocratisation de l'Azerbaïdjan est le préalable à la solution au conflit. D'ailleurs il n'y aurait pas de conflit s'il n'était artificiellement entretenu pour des raisons internes à l'Azerbaïdjan. C'est un exutoire qu'agite régulièrement le clan Aliyev dès lors que des mouvements sociaux menacent son pouvoir. Des Azerbaïdjanais libres dans un Azerbaïdjan démocratique n'auraient nul besoin d'aller mourir pour le Karabagh.»
[Source: Sputnik News, Moscou, 21fév18]
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