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29jan13


La prise de Tombouctou, un "symbole" pour l'opération au Mali


Les forces franco-maliennes ont repris sans combattre, dans la nuit du dimanche 27 au lundi 28 janvier, la grande ville de Tombouctou, dans le nord du Mali, mais n'ont pu empêcher l'incendie d'une bibliothèque abritant de précieux manuscrits par les islamistes en fuite. Tombouctou, située dans la boucle du fleuve Niger, était tombée l'an dernier aux mains de rebelles islamistes qui y ont détruit des mausolées soufis. Pierre Boiley, directeur du Centre d'études des mondes africains (Cemaf), analyse l'importance de la prise de Tombouctou par les forces franco-maliennes.

La prise de Tombouctou constitue-t-elle un tournant dans l'intervention au Mali?

C'est un symbole, car Tombouctou est une ville bien connue, plus que Gao ou Diabali. On voit d'ailleurs comment la presse a titré sur l'événement. C'est important, car c'est une très grande ville, qui était tenue par les islamistes. Al-Qaida au Magheb islamique (AQMI) était installé à Tombouctou, avec des éléments de Ansar Eddine. C'était pour eux une position cardinale, même si AQMI est une organisation volatile qui ne cherche pas à prendre des territoires, mais à faire des coups de main et à avoir une force de nuisance. AQMI savait qu'elle ne pouvait pas résister militairement à une attaque frontale soutenue par des moyens aériens. Elle est plus à l'aise dans des attaques ponctuelles, des actions de guérilla.

C'est un tournant dans l'intervention, car cela clôt la reprise des bords du Niger et des deux grandes villes, avec Gao, qui ont été les symboles de l'application violente de la loi islamique (charia). C'est une défaite des islamistes mais elle n'est pas définitive. C'est également un tournant par rapport à la suite des opérations contre les salafistes. Car ils gardent encore une grande puissance de nuisance. Il reste à les chasser de tout le Nord, ce qui est une plus lourde tâche que la reconquête de la bande de territoire aujourd'hui accomplie. Le terrain est immense, les caches innombrables, et les conditions matérielles difficiles. Il serait logique, comme cela a été souvent évoqué, de s'appuyer sur les Touareg. D'ailleurs, plusieurs villes de la région de Kidal ont été déjà réoccupées par les forces du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), qui ont profité de la fuite des islamistes, et qui offrent leurs services pour la poursuite des terroristes sur une région qu'ils connaissent parfaitement.

Quelle va être maintenant la situation à Tombouctou ?

Pour Tombouctou, l'heure est à un retour à la normale, celui de l'islam confrérique modéré qui vénère les tombeaux des saints - dont hélas beaucoup ont été détruits. Pendant la période où la ville était dominée par les salafistes djihadistes, les autorités religieuses de la ville ont fait entendre leur voix contre l'islam rigoriste qui leur a été imposé. Mais il était difficile de s'opposer aux armes des salafistes.

Pour l'armée française, le travail est loin d'être achevé par la prise de Tombouctou. Elle ne peut partir maintenant, sinon il y aura des violences. La situation est complexe et l'armée malienne est réputée pour ses dérapages en terme de droits humains. La France a la responsabilité énorme de veiller à ce que la situation ne dégénère pas. Tombouctou est une ville de "peaux blanches" : Arabes, Touareg notamment. Le problème reste la possible vengeance de l'armée malienne contre ceux soupçonnés d'avoir soutenu les islamistes ou les indépendantistes. Une garantie internationale - et française - est indispensable pour éviter les exactions potentielles.

Quelle suite la France doit-elle donner à l'intervention militaire au nord du Mali?

La question se pose désormais de savoir ce que va faire la France. Va-t-elle considérer que sa mission est terminée ? Ce serait une grave erreur de partir sans régler les problèmes politiques : aider le Mali à régler ses problèmes institutionnels et surtout contribuer, avec la collaboration des instances internationales, à traiter les problèmes de façon non sanglante dans le nord du pays. Si l'armée française n'assure pas la sécurisation de ces régions, il pourrait y avoir de nouveaux dérapages de l'armée malienne. C'est extrêmement important et urgent, car on déplore déjà plusieurs dizaines de personnes exécutées dans des conditions horribles. Et la France en sera aussi tenue pour responsable.

[Source: Propos recueillis par Hélène Sallon, Le Monde, Afrique, Paris, 29jan13]

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