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Rapport du Secrétaire général sur la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie (27déc17-26mar18)
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Conseil de sécuritéS/2018/279
Distr. générale
2 avril 2018
Français
Original : anglaisRapport du Secrétaire général sur la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie
I. Introduction
1. Le présent rapport est présenté en application de la résolution 2366 (2017), par laquelle le Conseil de sécurité a décidé de mettre en place la Mission de vérification des Nations Unies en Colombie et m'a prié de lui faire rapport sur l'exécution du mandat de la Mission tous les 90 jours, ainsi que de la résolution 2381 (2017), par laquelle le Conseil a autorisé la Mission à surveiller l'application du cessez-le-feu national, bilatéral et temporaire conclu entre le Gouvernement colombien et l'Armée de libération nationale (ELN). Le rapport porte sur la période du 27 décembre 2017 au 26 mars 2018.
II. Principaux faits nouveaux
Élections législatives
2. Les élections législatives tenues le 11 mars 2018 sont un exemple de l'influence positive de la fin du conflit avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie -Armée populaire (FARC-EP) sur le processus politique dans le pays. La campagne n'a pas été sans heurts, mais la participation politique a augmenté d'environ 5,2 %, soit 3,6 millions d'électeurs supplémentaires par rapport aux élections de 2014. La participation a augmenté dans tous les départements ; dans les 10 départements historiquement les plus touchés par le conflit, 817 045 personnes de plus qu'en 2014 ont participé au scrutin. Aucun des 9 709 nouveaux bureaux de vote n'a dû être déplacé pour des raisons de sécurité. L'ELN a respecté ses engagements en mettant unilatéralement fin à son offensive pendant la période électorale et le Gouvernement a mis en place le plan national de garanties électorales prévoyant le déploiement de 187 000 policiers et militaires.
3. Le parti politique Force alternative révolutionnaire du peuple (FARC) a présenté 73 candidats ; les anciens membres des FARC-EP ont exprimé leur suffrage sans incident majeur, ce qui marque une étape importante dans leur réintégration politique. Conformément à l'Accord de paix, la FARC sera représentée au prochain Congrès ; elle disposera de 5 sièges à la Chambre des représentants, qui en compte 172, et au Sénat, qui en compte 108. La représentation des principaux partis a évolué sans qu'aucune majorité absolue ne se dégage.
Système intégré pour la vérité, la justice, la réparation et la non-répétition
4. Le 15 mars, la Juridiction spéciale pour la paix, à savoir la composante judiciaire du système de justice transitionnelle, a ouvert ses portes au public, ce qui représente un nouveau progrès. Les juges ont commencé à examiner les dossiers présentés par 6 094 membres des anciennes FARC-EP, 1 792 membres des forces armées, 44 fonctionnaires et 6 particuliers. La prompte approbation par le Congrès du règlement de procédure reste une étape importante à franchir.
5. En février, le Président colombien Juan Manuel Santos Calderôn a signé trois décrets portant création d'une Unité spéciale de recherche des personnes portées disparues, dont il a nommé le Directeur ; celui-ci a annoncé l'ouverture prochaine des enquêtes visant à retrouver plus de 60 000 personnes portées disparues pendant le conflit.
6. La commission chargée d'établir la vérité et de garantir la coexistence et la non-répétition du conflit, créée en décembre 2017, a pris ses premières mesures en vue de l'établissement d'une présence régionale, d'une concertation avec la Juridiction spéciale pour la paix et l'Unité spéciale de recherche des personnes portées disparues, et d'un dialogue avec d'autres acteurs institutionnels et de la société civile tels que le Centre national du souvenir, le Ministère de la justice et de la défense, les forces armées, des représentants du secteur privé et des victimes et des organisations de défense des droits des femmes et des autochtones.
Législation
7. Le Gouvernement actuel compte soumettre au Congrès, qui reprendra le 20 mars ses travaux après une pause parlementaire de trois mois, certains projets de loi à examiner d'urgence concernant le processus de paix.
Autres faits récents concernant l'application de l'Accord
8. La Commission de suivi, de promotion et de vérification de l'application de l'Accord de paix étant parvenue à un consensus à la fin de 2017, le Gouvernement a présenté un plan-cadre pour la mise en œuvre de l'Accord final pour la fin du conflit et la construction d'une paix stable et durable à l'échelle de 15 ans, dans lequel il précise la répartition géographique des prestations sociales, les coûts estimatifs et les sources de financement public, et les engagements des FARC.
9. Le 1er mars, la Cour constitutionnelle a confirmé le caractère constitutionnel de la loi d'amnistie approuvée en décembre 2016, qu'elle a toutefois assortie de plusieurs nouvelles conditions critiquées par la FARC. Le communiqué correspondant de la Cour, dans la droite ligne des précédents jugements, a conditionné le versement des prestations prévues aux anciens membres des FARC-EP et aux agents publics à leur pleine coopération aux travaux du Système intégré pour la vérité, la justice, la réparation et la non-répétition.
10. Le 19 février, le Bureau du Procureur général a annoncé l'ouverture d'une enquête sur les entreprises soupçonnées d'avoir entretenu des liens avec les anciens membres des FARC-EP. Ces entreprises étaient accusées d'enrichissement illicite et de blanchiment d'argent à hauteur de 230 millions de dollars des États-Unis ; l'argent aurait transité par des supermarchés, dont certains ont ensuite été pillés. Les FARC ont démenti tout lien avec ces entreprises et se sont inquiétées de l'insuffisance des mesures adoptées pour protéger les actifs déclarés le 15 août 2017 en application de l'Accord de paix, dont elles estimaient la valeur à 323 millions de dollars, et qu'elles craignaient de perdre.
III. Activités de la Mission : garanties de sécurité et garanties juridiques et socioéconomiques en vue de la réintégration des anciens membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie - Armée populaire
11. En janvier, le Gouvernement a recensé une série de mesures visant à résoudre, pendant les trois mois à venir, certaines questions concernant les garanties de sécurité et les garanties juridiques et socioéconomiques en vue de la réintégration des anciens membres des FARC-EP. En matière de sécurité, il s'agissait de déployer dans les 26 secteurs territoriaux de formation et de réintégration des équipes de protection rapprochée pour les anciens combattants souhaitant se déplacer hors du périmètre sécurisé par la police et les forces armées. Sur le plan juridique, l'objectif était de régler la situation des anciens membres des FARC-EP encore détenus et d'enregistrer les centaines d'ex-combattants qui, faute d'accréditation du Haut-Commissariat pour la paix, ne pouvaient prétendre au processus de réintégration. Sur le plan socioéconomique, il fallait garantir l'accès à la propriété foncière, créer des coopératives des FARC et favoriser des projets productifs dans tous les secteurs territoriaux de formation et de réintégration. De nombreux efforts ont été consacrés à ces objectifs, souvent de manière concertée entre le Gouvernement, les représentants de la FARC et la Mission.
A. Garanties de sécurité pour les anciens membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie - Armée populaire
Sécurité des secteurs territoriaux de formation et de réintégration
12. Les agents de la sécurité publique ont continué de mettre en place des points de contrôle et des périmètres de sécurité autour de tous les secteurs territoriaux de formation et de réintégration. L'armée, la police et l'Unité nationale de protection se sont activement employées à apaiser les tensions croissantes entre les ex-combattants de Charras et de Colinas (département de Guaviare). À Cauca, les tensions entre le personnel de sécurité déployé et les populations autochtones demeurent extrêmement problématiques. De nouvelles tensions sont apparues en raison de l'arrivée de groupes dissidents ou d'autres groupes armés illégaux à proximité de certains secteurs, en particulier dans les départements de Meta, de Guaviare et de Cauca, où ils ont attaqué la police nationale. Depuis septembre 2017, ces attaques ont fait cinq morts et plusieurs blessés graves parmi les policiers.
13. L'initiative interinstitutionnelle « Tente bleue »", sous la conduite des Forces armées, vise à coordonner les services de l'État chargés de la sécurité dans les villages aux alentours des secteurs territoriaux. Elle a été mise en place dans tous ces secteurs avec un succès variable. Dans des zones minées par le conflit depuis des décennies, où les groupes armés illégaux demeurent actifs, la population demeure réticente à toute collaboration étroite avec l'armée et craint les représailles qu'une collaboration avec les forces de sécurité publiques pourrait lui attirer. Les efforts de stabilisation du Gouvernement dans les anciennes zones de conflit gagneraient en légitimité et en efficacité si les mesures de sécurité étaient couplées à une plus grande présence des autorités et organes civils chargés de fournir des services à la population.
Protection rapprochée
14. Pendant la période à l'examen, la Mission a eu connaissance de l'assassinat de 13 anciens membres des FARC-EP et 5 membres de leurs familles, ce qui porte le nombre de victimes depuis la signature de l'Accord de paix à 44 anciens membres des FARC-EP et 18 membres de leurs familles, sans compter les 6 ex-combattants disparus en octobre 2017. Tous les assassinats se sont produits à l'extérieur des secteurs, et il importe donc d'étendre les garanties de sécurité au-delà de ce périmètre. L'Unité nationale de protection a affecté des équipes de protection collective à tous les secteurs, de façon à assurer la protection rapprochée de tous les anciens membres des FARC-EP quittant provisoirement leur secteur, en particulier pour mener des activités politiques ou promouvoir les programmes de substitution de la culture de la coca |1|.
15. À ce jour, l'Unité a formé et recruté 935 personnes, dont 545 anciens membres des FARC-EP et, parmi ceux-ci, 84 femmes. Un troisième et dernier programme de formation permettra d'atteindre l'objectif de 1 200 personnes formées et recrutées prévu dans l'Accord de paix. Il comprendra un module sur l'analyse des risques et la protection sexospécifiques, organisé avec l'appui de la Commission des FARC chargée de la problématique femmes-hommes, de l'Entité des Nations Unies pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes (ONU-Femmes) et de la Mission.
Sécurité de la campagne politique de la Force alternative révolutionnaire du peuple
16. Pendant la campagne entamée le 28 janvier 2018 et d'après les chiffres officiels fournis par la FARC, le parti, qui a mené 101 activités, a eu à déplorer 17 incidents ; dans trois cas, les sièges régionaux du parti ont été pris pour cible. En raison d'un manque de personnel et de véhicules, l'Unité nationale de protection a uniquement pu assurer la protection rapprochée de 29 des 73 candidats que la FARC présentait au Congrès. Pour répondre aux besoins des 44 autres , elle a mis en place des dispositifs collectifs dans quatre villes. En outre, le 20 février, la Police nationale, l'Unité nationale de protection (qui comprend d'anciens membres des FARC-EP) et la Mission ont créé un mécanisme tripartite de protection et de sécurité afin de coordonner et de superviser les mesures de prévention et de protection à l'intention des membres du parti politique FARC. Le mécanisme a été doté d'un siège national et de 10 sièges régionaux ou sous régionaux dans les zones d'activité principales du parti. Un plan d'étapes a été conçu pour éliminer les risques spécifiques auxquels sont exposées les femmes engagées en politique. Le mécanisme était le principal dispositif de coordination des mesures de protection et de sécurité le jour de l'élection. Aucune perturbation notable n'a eu lieu ce jour-là.
17. Comme je l'écrivais dans mon précédent rapport (S/2017/1117), de nombreux ex-combattants ont quitté les secteurs territoriaux de formation et de réintégration et sont éparpillés sur le territoire. L'Agence pour la réintégration et la normalisation a signalé l'existence de plusieurs zones d'installation collectives, souvent dans des régions rurales où les FARC-EP étaient présentes avant de se regrouper, et il est donc d'autant plus important de protéger l'ensemble des habitants des régions touchées par le conflit, comme prévu à l'article 3.4 de l'Accord de paix.
B. Garanties juridiques
18. L'accréditation est nécessaire pour prétendre au bénéfice de la loi d'amnistie et de la réintégration. Le 15 août 2017, les FARC-EP avaient présenté une liste de plus de 14 000 anciens membres. En décembre, le Haut-Commissariat pour la paix avait accrédité environ 11 900 d'entre eux. Pour les quelque 2 000 restants, le Haut-Commissariat, le parti FARC et la Mission ont mis en place un plan tripartite entre la mi-janvier et la mi-mars 2018 à l'issue duquel environ 1 000 anciens membres se trouvant dans les secteurs territoriaux de formation et de réintégration ont été accrédités. Les notifications correspondantes sont en cours de publication. Sont encore prévus une visite conjointe au secteur territorial de La Variante, où près de 400 ex-combattants pourraient se voir accrédités, l'examen plus approfondi des dossiers en suspens dans d'autres secteurs territoriaux et l'examen des cas d'environ 400 anciens membres des FARC-EP encore en prison et sans accréditation.
19. Au moment de la signature de l'Accord de paix, environ 3 500 anciens membres des FARC-EP, dont environ 8 % de femmes, étaient détenus pour des infractions liées au conflit. À ce jour, environ 2 600 d'entre eux ont été mis en liberté ; autrement dit, 15 mois après l'adoption de la loi d'amnistie, un quart des anciens membres en prison attendent toujours le réexamen de leur dossier, malgré les efforts conjoints du Haut-Commissariat et de la Mission. Avec l'appui de la communauté internationale et du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), une équipe d'avocats s'efforce d'accélérer l'examen judiciaire des affaires ayant trait à des membres des FARC. Bien que le sujet soit complexe, l'application incomplète de la loi d'amnistie constitue une faiblesse du processus de réinsertion. Tout doit être mis en œuvre pour régler les dossiers en attente.
C. Réintégration sociale et économique
20. Au cours des trois derniers mois, l'Agence pour la réintégration et la normalisation, le Haut-Commissariat pour la paix, les Ministères de l'éducation, de la santé, de l'environnement et du travail ont fait des efforts considérables pour promouvoir les objectifs de réinsertion rapide. Actuellement, 11 507 ex-combattants accrédités (96,7 %) ont accès à un compte bancaire, 11 729 d'entre eux (99 %) ont reçu une indemnité ponctuelle de réintégration et 10 335 (87 %) perçoivent des allocations mensuelles.
21. Toutefois, six mois après la fin du dépôt des armes, il est urgent que les anciens membres des FARC-EP se voient offrir des solutions viables pour leur réintégration à moyen et à long terme. L'absence de progrès à cet égard explique en grande partie leur départ des secteurs territoriaux de formation et de réintégration. C'est pourquoi il est de plus en plus important de faciliter l'accès aux terres, de concevoir, financer et mettre en place des projets productifs viables liés au développement local, mais aussi de créer les coopératives nécessaires pour mener à bien ces projets.
22. En ce qui concerne les défis à moyen terme, je réaffirme la nécessité pour le Conseil national de réintégration d'adopter un plan national alliant réintégration et développement, conformément aux dispositions de l'Accord de paix. La cellule technique de l'Agence pour la réintégration et la normalisation pourrait mettre en œuvre plus facilement les initiatives de réintégration si elle disposait du personnel nécessaire. Des conseils territoriaux de réintégration ont été créés dans chaque secteur territorial de formation et de réintégration avec l'aide des autorités locales, mais ils ne sont pour l'heure pas parvenus à associer efficacement réintégration et développement local.
Situation dans les secteurs territoriaux de formation et de réintégration
23. Les conditions de vie et de travail dans les secteurs territoriaux de formation et de réintégration sont déterminantes pour la réussite du processus de réintégration. La plupart de ces secteurs sont situés dans des communes rurales isolées qui ont un accès limité à l'eau potable et à l'assainissement. Les autorités ont fait installer des unités temporaires de production d'eau potable et des fosses septiques dans 25 des 26 secteurs territoriaux. Ces équipements présentent des problèmes de maintenance récurrents que le Haut-Commissariat pour la paix s'attache à résoudre, mais des difficultés demeurent dans les secteurs territoriaux de La Variante (département de Narino), de Llano Grande (département d'Antioquia) et de Yari (département de Meta). Au moins quatre secteurs territoriaux ont des problèmes d'alimentation électrique et l'approvisionnement en nourriture a également connu quelques interruptions. Le Haut-Commissariat pour la paix, l'Agence pour la réintégration et la normalisation, le Ministère de la santé et la Mission ont créé un groupe de travail qui se réunit régulièrement pour résoudre les problèmes liés aux infrastructures et aux services. En mars, le Haut-Commissariat pour la paix a engagé des travaux dans six secteurs territoriaux de formation et de réintégration, notamment la construction de salles de classe et la modernisation des réseaux d'approvisionnement en eau, d'évacuation des eaux usées et d'assainissement.
24. Le Gouvernement a annoncé que l'approvisionnement en eau et en électricité ainsi que les services d'assainissement et d'entretien seraient maintenus après mars 2018, jusqu'en août 2019, ce qui est une bonne nouvelle. De même, les services de santé seront assurés jusqu'au 31 décembre 2018 et adapteront leurs programmes aux besoins. Enfin, il faut noter que les parties ont conclu le 23 mars un accord prolongeant de trois mois supplémentaires l'approvisionnement des secteurs territoriaux en denrées alimentaires de base. Il était prévu que les approvisionnements alimentaires cessent le 31 mars. Tant que l'accès aux terres et les projets productifs à long terme ne seront pas concrétisés, l'accès aux denrées alimentaires reste un facteur essentiel incitant les anciens membres des FARC-EP à rester dans les secteurs territoriaux de formation et de réintégration, ce qui permet au Gouvernement et aux FARC de poursuivre la mise en place ordonnée des programmes de réintégration, avec l'aide de la communauté internationale.
Nouvelles zones d'installation
25. Comme indiqué au paragraphe 17, l'Agence pour la réintégration et la normalisation a recensé plusieurs zones rurales où des groupes d'ex-combattants se sont installés et mènent des projets collectifs. Elle a déployé 106 facilitateurs dans les municipalités avoisinantes pour aider les personnes installées hors des secteurs territoriaux de formation et de réintégration. Sa décision d'apporter une aide aux nouvelles zones d'installation d'Uribe (département de Meta) et de Mutatâ (département d'Antioquia), où se sont établis quelque 250 ex-combattants, est bienvenue. L'Agence estime que plus d'un millier d'ex-combattants des FARC-EP auront besoin d'une aide pour être réintégrés.
26. L'éparpillement géographique des ex-combattants crée de nouvelles difficultés. S'il reste primordial de mettre l'accent sur la réintégration dans les secteurs territoriaux (car elle devrait, nous l'espérons, déclencher le retour d'ex-combattants dans ces secteurs), il deviendra de plus en plus important d'agir localement, aux niveaux municipal et départemental. Le Conseil national de réintégration, les services de l'État et la communauté internationale devraient tenir compte de cette évolution des besoins.
Réintégration productive
27. Plus de 100 projets productifs en sont à différents stades de mise en œuvre dans les secteurs territoriaux de formation et de réintégration. Ils sont pour l'essentiel conçus, menés et financés par d'anciens membres des FARC-EP, à l'aide de leurs indemnités de réintégration et de leurs allocations mensuelles. Certains bénéficient de l'aide technique ou financière d'organismes publics, d'universités, des autorités locales ou de donateurs internationaux. Malheureusement, le mécanisme officiel créé par l'Accord de paix pour élaborer et financer les projets productifs s'est avéré inefficace. Ce dernier prévoit l'octroi, après approbation du projet par le Conseil national de réintégration, d'une somme de 8 millions de pesos (environ 2 800 dollars des États-Unis) à chaque ancien membre des FARC-EP y prenant part. En février, un seul projet (à Miravalle, dans le département de Caquetâ) avait été retenu.
28. Au cours des trois derniers mois, trois priorités ont été fixées : l'ouverture de comptes bancaires pour les 51 coopératives créées à ce jour, l'approbation et le financement par le Conseil national de réintégration de projets productifs dans l'ensemble des secteurs territoriaux de formation et de réintégration, et la publication de règles permettant aux anciens membres des FARC-EP d'acquérir des terres.
Coopératives
29. Quelques progrès ont été accomplis en ce qui concerne la création de la coopérative nationale, dite Ecomun, et des coopératives locales. Au total, 51 coopératives ont été créées, comptant 3 070 membres. Le Ministère du travail et le Service national de formation professionnelle ont formé et agréé 5 433 anciens membres des FARC-EP dans le domaine de l'économie solidaire, et des ressources internationales ont été recensées pour 1 400 autres ayant exprimé leur intérêt pour cette formation. Toutefois, seul un petit nombre remplissait tous les critères juridiques et opérationnels, notamment l'accès à un compte bancaire. La Commission de contrôle des banques devrait adopter prochainement une décision permettant l'ouverture rapide de comptes bancaires pour toutes les coopératives.
Accès aux terres
30. Conformément à la décision qu'il a prise en décembre 2017, le Président devrait faire connaître prochainement, pour avis, un projet de décret permettant aux ex-combattants en cours de réintégration d'accéder à la propriété foncière. Une fois adopté, ce décret historique sera peut-être la mesure la plus efficace pour inciter d'anciens membres des FARC-EP issus du milieu agricole (c'est-à-dire la majorité d'entre eux) à poursuivre le processus de réintégration. Toutefois, ce décret ne pourrait être appliqué qu'après l'élection présidentielle, en raison des restrictions imposées aux marchés publics pendant la campagne électorale. Le Gouvernement propose une autre solution, qui pourrait être mise en place dès à présent, consistant à acheter des terres dans le cadre du financement de projets productifs.
31. À ce jour, l'organisme national chargé des questions foncières a répertorié 76 parcelles (dont 14 dans des secteurs territoriaux de formation et de réintégration et 62 dans leur proximité immédiate) qui pourraient être achetées et affectées à la production agricole. L'attribution des terres devrait se poursuivre sans plus tarder.
Projets productifs
32. Comme je l'ai déjà dit, les progrès de la conception, de l'approbation et du financement des projets productifs par le Conseil national de réintégration ont été insuffisants. Les travaux des techniciens nommés en 2017 par les FARC pour formuler des projets dans les 26 secteurs territoriaux de formation et de réintégration ont été lents. De ce fait, seuls quatre projets ont été présentés et un seul a été approuvé par le Conseil national de réintégration. Début mars 2018, face à cette situation préoccupante, le PNUD, avec l'appui du Conseil national de réintégration, des FARC et de la Mission, a dépêché en urgence des spécialistes pour finaliser les projets. L'objectif est d'en faire approuver 13 en mars et le reste en avril et en mai. Par ailleurs, après trois mois de formation, 350 ex-combattants ont obtenu leur diplôme de technicien agricole.
33. Les programmes actuels de réintégration ne tiennent pas compte de la problématique femmes-hommes. Il convient de mettre en œuvre des mesures globales, adaptées aux besoins des anciennes membres des FARC-EP pour qu'elles participent pleinement à ces programmes et y jouent un rôle moteur. D'anciennes membres des FARC-EP continuent de mener leurs propres actions. Par exemple, dans le secteur territorial de formation et de réintégration d'Agua Bonita, des femmes sont à la tête de deux projets : un atelier de couture et un centre spécialisé dans les produits de l'ananas. Dans le secteur de Llano Grande, 34 anciennes membres des FARC-EP ont ouvert ensemble un restaurant communautaire. Dans celui de Santa Lucia, un groupe de 20 femmes a mis sur pied une boulangerie, avec l'aide technique du Service national de formation professionnelle. Dans celui de Los Monos (Cauca), un groupe de femmes autochtones, anciennes membres des FARC-EP, a mis en place un projet de fabrication de produits artisanaux et envisage d'y associer les femmes des réserves autochtones voisines. D'autres projets de ce type sont menés dans d'autres secteurs territoriaux de formation et de réintégration mais nécessitent un appui technique et financier.
34. Des États Membres, des organismes des Nations Unies, notamment le PNUD, l'Organisation internationale pour les migrations, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, l'Entité des Nations Unies pour l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes (ONU-Femmes), le Service de la lutte antimines et le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), et des organisations internationales non gouvernementales se mobilisent de plus en plus en faveur de la réintégration productive. Le groupe des donateurs pour la Colombie, coordonné par l'Union européenne, a fait de cette question l'une de ses priorités. Le comité technique sur la coopération internationale créé en février par le Conseil national de réintégration devrait contribuer à promouvoir et à harmoniser davantage la coopération internationale. L'action en faveur de la création de l'organisation de déminage Humanicemos, dont l'objectif est d'employer jusqu'à 146 anciens membres des FARC-EP, se poursuit avec l'appui du Service de la lutte antimines.
Santé et éducation
35. À ce jour, 11 475 anciens membres des FARC-EP (soit 96 % de ceux qui sont accrédités, dont 8 980 hommes et 2 495 femmes) répartis dans 488 municipalités sont affiliés au système de santé, soit 1 112 personnes supplémentaires au premier trimestre 2018. Le Ministère de la santé et le Haut-Commissariat pour la paix ont créé de nouveaux protocoles afin de résoudre les difficultés rencontrées par d'anciens membres des FARC-EP pour s'affilier au système de santé. Le Groupe de travail technique sur la santé du Conseil national de réintégration, qui a tenu des réunions hebdomadaires, a contribué à mettre en lumière la situation de 35 dossiers urgents et plus généralement à améliorer la prestation de services.
36. Malgré le prolongement des services de santé dans les secteurs territoriaux de formation et de réintégration, aucun médecin n'a été envoyé dans certains d'entre eux en janvier et en février. Ce problème a été résolu dans tous les secteurs territoriaux, à l'exception de celui de Vidri, dans le département de Chocô. Ailleurs, on a observé une pénurie de médicaments.
37. Malgré ces difficultés, d'anciens membres des FARC-EP et les communautés avoisinantes qui, traditionnellement, ont un accès limité aux soins de santé, ont pu se rendre dans les centres de santé temporaires ouverts dans les secteurs territoriaux de formation et de réintégration. Il sera important de mettre en place à moyen et long termes, dans le cadre d'une stratégie rurale de santé pour les régions les plus vulnérables, un solide plan d'urgence afin de répondre aux besoins des secteurs territoriaux et des communautés voisines.
38. Pour apporter des solutions à plus long terme, le Ministère de la santé, en coordination avec l'Organisation internationale pour les migrations, le Fonds des Nations Unies pour la population et l'Organisation panaméricaine de la santé, a parrainé le programme « Santé pour la paix » dans 26 municipalités des secteurs territoriaux de formation et de réintégration afin de renforcer les capacités des professionnels de santé et des responsables locaux, y compris d'ex-combattants.
39. Le prestataire d'assurance maladie des anciens membres des FARC-EP a programmé 1 160 rendez-vous médicaux spécialisés pour 326 femmes enceintes vivant dans les secteurs territoriaux de formation et de réintégration. Malheureusement, dans de nombreux hôpitaux ruraux situés à proximité, les services obstétriques sont insuffisants ou inexistants et l'accès des femmes à ces soins ou à une maternité reste très difficile en raison du coût élevé des transports. L'accès aux services qui permettent l'exercice des droits en matière de sexualité et de procréation et leur fourniture sont aussi problématiques. D'anciens membres des FARC-EP handicapés sont confrontés aux mêmes difficultés, car les centres de soins et les prestataires spécialisés se trouvent principalement dans les chefs-lieux de départements éloignés.
40. S'agissant de l'éducation, il est important d'établir une stratégie intégrée, conformément aux engagements énoncés par le Ministère de l'éducation dans le cadre du Conseil national de réintégration. Alors que les établissements d'enseignement primaire et secondaire entament leur deuxième année scolaire, la demande d'enseignement supérieur croît. Le Ministère de l'éducation et la FARC travaillent de concert à l'établissement d'un plan pour l'enseignement supérieur, en collaboration avec des universités publiques et privées. Dans le cadre d'un modèle souple d'enseignement primaire et secondaire mis en œuvre par le Ministère de l'éducation et des partenaires internationaux, 3 418 anciens membres des FARC-EP ont été scolarisés en 2017 et 1 831 autres l'ont été en 2018.
D. Réintégration politique
41. Le nouveau parti FARC, qui a participé aux élections de mars, s'acquittera de ses responsabilités nationales par l'intermédiaire des cinq sénateurs, dont deux femmes, et des cinq membres de la Chambre des représentants qui prendront leurs fonctions à l'ouverture de la nouvelle session du Congrès le 20 juillet 2018. La transition des FARC du conflit à la politique a consolidé le processus de paix. Il a fallu néanmoins franchir de nombreux obstacles, qui ont parfois désavantagé la FARC par rapport à d'autres partis politiques.
42. En décembre 2017, lors de l'inscription des candidats, le Greffier s'est opposé au fait que l'amnistie couvrant les crimes commis par des membres des FARC pendant le conflit puisse également lever les freins à leur participation à la vie politique. L'examen par la Cour constitutionnelle de la loi portant création du Système intégré pour la vérité, la justice, la réparation et la non-répétition a permis d'éclaircir ce point. En revanche, l'inscription sur les listes électorales des anciens membres des FARC-EP s'est relativement bien déroulée, même si ceux qui n'étaient pas encore accrédités n'ont pas pu voter. À ce jour, les autorités chargées de l'état civil ont enregistré environ tous les anciens membres des FARC-EP accrédités par le Haut-Commissariat pour la paix.
43. La mise à disposition des fonds publics pour le financement des activités et des campagnes électorales du parti ne s'est pas faite sans heurts. Dans un premiers temps, celui-ci s'est vu refuser l'ouverture d'un compte bancaire au motif que ses représentants légaux étaient inscrits sur des listes de sanctions internationales. Ce n'est que le 23 janvier 2018 que la banque « Banco agrario de Colombia » a accepté de lui ouvrir un compte. La mise à disposition des fonds transférés par la banque au parti a encore été retardée en raison de procédures juridiques et bureaucratiques et n'est intervenue que le 1er mars, soit 10 jours avant la clôture de la campagne, ce qui a clairement pesé sur la capacité de la FARC à faire campagne. Les retards dans les versements du Conseil électoral national ont également concerné d'autres partis politiques.
44. Si l'inauguration du siège régional de la FARC et le lancement de la campagne à Bogota et dans plusieurs autres régions se sont déroulés sans incident, le début des activités de campagne a été marqué par plusieurs actes de vandalisme contre les bureaux de la FARC et par des actes de harcèlement lors des rassemblements publics. Les actes de violence ont également visé d'autres partis, ce qui témoigne de la polarisation du climat politique.
45. Les faits les plus graves se sont produits le 16 janvier, lorsque deux excombattants ont été tués alors qu'ils faisaient campagne dans la commune de Peque (département d'Antioquia). La Mission a condamné publiquement ces meurtres, les premiers du genre dans la campagne électorale. L'Unité spéciale d'investigation du Bureau du Procureur général a émis des mandats d'arrêt contre les suspects.
46. En raison des conditions générales de sécurité et par manque de fonds, le parti FARC a suspendu sa campagne du 9 au 23 février. À la fin de la campagne, le nombre d'incidents a fortement diminué et, comme je l'ai indiqué plus haut, on n'a relevé aucun incident notable le jour du scrutin. Le 8 mars, la FARC s'est retirée de la campagne présidentielle en raison de l'état de santé de son candidat Rodrigo Londono.
E. Sécurité des populations, des organisations et des responsables dans les zones les plus touchées par le conflit
47. J'ai écrit dans mon précédent rapport que l'aggravation de l'insécurité dans plusieurs zones touchées par le conflit était particulièrement préoccupante. En 2017, 121 défenseurs des droits de l'homme, figures de la société civile et responsables locaux ont été tués |2|.
48. Il est inquiétant de constater que, de l'avis général, les meurtres de responsables locaux et de défenseurs des droits de l'homme n'ont connu aucun répit au cours des trois derniers mois, alors que plusieurs mesures avaient été prises pour réduire le nombre alarmant de meurtres enregistrés en 2017. Il faut endiguer de toute urgence cette tendance et la prolifération des acteurs armés illégaux qui y participent, comme l'ont indiqué le Président et d'importants responsables gouvernementaux.
49. Les attaques contre des personnes chargées de mettre en place les programmes publics ayant trait à la substitution de la culture de la coca et à la restitution des terres sont particulièrement inquiétantes. Les membres des conseils locaux, qui constituent le mécanisme de gouvernance mis en place dans les zones rurales, sont parmi les principales cibles de la violence. C'est pourquoi il importe d'étendre la protection individuelle des personnes à risque aux groupes et aux communautés, dans le cadre d'un dispositif de sécurité collective, comme le prévoit le décret 2078 de 2017. Ce dispositif devrait également couvrir les besoins de protection particuliers des femmes, par le renforcement de la prévention et la lutte contre la violence sexiste.
50. Le 28 février 2018, le Défenseur du peuple a émis une alerte rapide au niveau national désignant les figures de la société civile, les responsables locaux et les défenseurs des droits de l'homme comme une population particulièrement visée. Il a relevé qu'entre 2017 et février 2018, 49 % des incidents se sont produits dans quatre départements, à savoir Cauca, Uraba, Antioquia et Nord de Santander. Dans l'alerte, il a précisé que nombre des responsables assassinés partageaient sept engagements : la défense des terres et des ressources naturelles, le soutien à la mise en œuvre de l'Accord de paix, notamment du programme de substitution de la culture de la coca, et à la formulation de plans de développement rural, le soutien à la restitution des terres et au retour des personnes déplacées, la défense des terres contre les intérêts privés, la dénonciation du trafic de drogue, de la présence d'acteurs armés illégaux et de l'utilisation d'enfants et d'adolescents dans les zones urbaines marginalisées, la protestation contre certains investissements bénéficiant de fonds publics, la participation politique aux élections. Le Défenseur du peuple a constaté qu'il y avait de plus en plus de groupes armés illégaux et d'affrontements entre ces groupes, ce qui provoquait davantage de déplacements massifs. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a fait état de tels déplacements au cours des deux premiers mois de 2018.
51. Le Bureau du Défenseur du peuple a émis 27 autres alertes rapides au niveau régional pour rendre compte des risques observés dans 45 municipalités réparties sur 14 départements. Trois de ces alertes concernaient des risques de violence sexuelle et cinq des risques de recrutement d'enfants. Le Bureau a souligné que ces risques étaient dus pour l'essentiel à des groupes qui se disputaient le contrôle des territoires hébergeant la production et le trafic de drogues mais également des activités minières illégales. Les intérêts commerciaux autour de mégaprojets agricoles ou d'infrastructures étaient une source secondaire de risques. Dans 33 de ces 45 municipalités, des figures de la société civile ont été tuées.
52. Les alertes émises par le Défenseur du peuple montrent généralement à quel point les attaques contre les populations et les responsables locaux sont directement liées aux tentatives de prendre le contrôle des ressources, notamment foncières et agricoles, par la violence. Ce constat souligne la prépondérance actuelle des motivations économiques dans les formes de violence qui sévissent en milieu rural et devrait aider les institutions de l'État à affiner leurs stratégies de lutte contre les organisations criminelles, afin de stabiliser les zones les plus touchées par le conflit.
53. À la fin de 2017, pour lutter contre la détérioration des conditions de sécurité et mettre un terme à la série d'assassinats commis dans les anciennes zones de conflit, le Gouvernement a approuvé plusieurs instruments nouveaux, notamment un système d'alerte rapide plus efficace, un dispositif d'action institutionnelle renforcée en cas d'alerte, un Bureau du Procureur général renforcé par la création de l'Unité spéciale d'investigation et le plan « Horus » qui prévoit le déploiement de forces de sécurité dans les zones rurales à risque. La Mission a appuyé ces efforts, chaque fois que cela était nécessaire.
Réaction aux alertes rapides du Défenseur du peuple
54. Afin de renforcer la réponse institutionnelle au système d'alerte rapide du Défenseur du peuple et améliorer la prévention, conformément à l'Accord de paix, le Gouvernement colombien a créé en décembre 2017 la Commission intersectorielle pour une intervention sans délai en cas d'alerte rapide. Cette commission est composée des ministres de l'intérieur et de la défense, du commandant en chef des forces militaires, du Chef de l'Unité nationale de protection, du Directeur de la police nationale et du Chef de l'Unité de protection des victimes. Le Défenseur du peuple, le Procureur général, l'Inspecteur général, le Haut-Conseiller pour l'après-conflit et la Conseillère présidentielle pour les droits de l'homme y siègent également en tant qu'invités. Cette initiative louable, au même titre que les efforts de collaboration des services de l'État, renforce les moyens disponibles pour suivre la situation sur le terrain, par l'intermédiaire des commissions régionales et locales. La Commission intersectorielle se réunit aux niveaux national et local. À ce jour, la Mission a participé à 24 des 32 séances qu'elle a tenues.
Plan Horus
55. L'absence d'une présence permanente des autorités civiles et des forces de sécurité dans les territoires les plus touchés par le conflit contribue à l'insécurité des populations. Dans mon rapport précédent, j'avais noté avec satisfaction l'annonce d'une nouvelle stratégie de stabilisation, dite « Plan Horus », qui prévoyait le redéploiement des forces de sécurité dans 595 districts ruraux de 13 municipalités très prioritaires et 54 municipalités moyennement prioritaires. Ce plan vise à reprendre le contrôle des zones où convergent plusieurs indicateurs, tels que la présence de groupes armés illégaux, les meurtres de responsables locaux, l'économie illicite et les alertes rapides émises par le Bureau du Défenseur du peuple ; établir une présence à long terme de nature à renforcer la confiance des populations ; faciliter la fourniture de biens et services par les autorités civiles.
56. Des évaluations régulières, menées en collaboration avec la Mission, sont prévues pour mesurer l'efficacité du plan, dont la mise en place ne fait que débuter mais qui, malgré les efforts déployés, se heurte à plusieurs obstacles : les besoins logistiques pour établir une présence permanente dans des districts nombreux et très éloignés sont considérables ; dans les zones où des groupes armés illégaux affrontent les forces de sécurité, le déploiement d'unités militaires et d'unités de police légères pose un problème ; les populations qui ont observé un déploiement accru des forces de sécurité craignent que ce déploiement soit temporaire et hésitent donc à coopérer avec les forces de sécurité, par peur de représailles de la part des organisations criminelles ; lorsque, pour assurer leurs moyens de subsistance, les populations s'appuient essentiellement sur la culture de la coca ou sur des activités minières illégales, leur souhait d'être protégées de la violence des groupes armés illégaux par les forces de sécurité se heurte à la crainte de voir leur survie économique compromise par la présence des services de l'État. Dans toutes les zones touchées par la violence et l'extrême pauvreté, la mise en œuvre du plan « Horus » et le renforcement de la présence de l'État seraient bien plus efficaces si les mesures de sécurité allaient de pair avec la fourniture de biens et de services par les autorités civiles.
Unité spéciale d'investigation du Bureau du Procureur général
57. L'Unité spéciale d'investigation, dont le Directeur a été nommé en décembre 2017, a fait des progrès en ce qui concerne l'identification des groupes armés illégaux et le recensement des structures criminelles qui opèrent dans les zones évacuées par les FARC-EP. Elle a donné la priorité au déploiement d'équipes pluridisciplinaires à Apartadô, Medellin, Popayan, Pasto et Tumaco. La Mission a noué un dialogue étroit avec l'Unité.
58. Dans un premier temps, l'Unité s'est concentrée à juste titre sur les meurtres d'anciens membres des FARC-EP et de membres de leurs familles, ce qui n'avait pas été suffisamment fait en 2017. À l'issue de ses enquêtes, 21 mandats d'arrêt ont été émis contre des personnes liées aux trois structures impliquées dans 20 meurtres et disparitions : le Clan del Golfo, l'ELN et les groupes dissidents des FARC-EP. L'unité de police d'élite, créée en application de l'Accord de paix, a appuyé les enquêtes de l'Unité.
59. Parmi les institutions de l'État, le Défenseur du peuple et le Procureur général ont joué un rôle moteur et utile dans l'analyse du contexte de violence dans les zones de conflit, mettant l'accent sur les groupes criminels impliqués dans le meurtre de responsables locaux et de figures de la société civile.
Commission nationale des garanties de sécurité
60. La Commission nationale des garanties de sécurité, présidée par le Président, est chargée de concevoir et de superviser la politique nationale visant à lutter contre la menace que représente les groupes illégaux et à démanteler la criminalité organisée, conformément à l'Accord de paix. Elle est composée, notamment, du Vice-Président Oscar Naranjo, des responsables de tous les services chargés des questions de sécurité, de la Conseillère présidentielle pour les droits de l'homme, du Procureur général, de l'Inspecteur général et du Défenseur du peuple. Quatre représentants d'organisations de la société civile bien connues en sont membres à part entière. L'Organisation des États américains, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et la Mission y siègent également en tant qu'observateurs. La Commission a multiplié ses activités et les rapports réguliers du Procureur général ont permis de débattre de manière approfondie de l'évolution des formes de violence à l'œuvre dans les territoires. La Sous-commission des garanties de sécurité organise des réunions dans les zones déclarées prioritaires, recueillant les points de vue de la population et des autorités locales. Ces réunions ont notamment permis de mettre en lumière les sources récurrentes d'insécurité que sont la prolifération des groupes armés, l'absence de perspectives économiques et les niveaux élevés de corruption et d'impunité.
61. La Commission a également mis en place quatre comités thématiques chargés des questions régionales et ethniques et de la problématique femmes-hommes, des sources de financement, des changements normatifs, des effets de l'action institutionnelle. Les organisations de femmes ont demandé à être mieux représentées à la Commission afin que leurs points de vue soient pris en compte dans ses travaux.
F. Cessez-le-feu entre le Gouvernement colombien et l'Armée de libération nationale
62. L'accord de cessez-le-feu bilatéral temporaire entre le Gouvernement colombien et l'ELN a expiré le 9 janvier 2018. En dépit des nombreux appels lancés pour maintenir la réduction significative de la violence enregistrée pendant le cessez-le-feu temporaire, l'ELN a repris ses activités militaires le 10 janvier, ce qui a conduit le Gouvernement à suspendre sa participation aux pourparlers. Plusieurs jours plus tard, la violence s'étant apaisée sur le terrain, les négociateurs en chef des deux parties se sont de nouveau rencontrés à Quito afin de discuter, notamment, de la possibilité de négocier un nouveau cessez-le-feu. À cet égard, le 25 janvier, dans une lettre conjointe, ils ont demandé à mon Représentant spécial d'évaluer le cessez-le-feu temporaire et de formuler des recommandations pour améliorer l'accord. Dans une lettre datée du 8 février, mon Représentant spécial a souligné que le cessez-le-feu avait profité à la population vivant dans les zones touchées par le conflit et à la légitimité du processus de paix. Il a exposé les principales lacunes de l'accord de cessez-le-feu temporaire, en particulier les divergences fondamentales concernant la définition d'opération offensive, l'ampleur des engagements humanitaires et le rôle du Mécanisme de surveillance et de vérification. Il a notamment jugé nécessaire un dialogue politique plus vigoureux et recommandé la mise en œuvre de mesures de confiance concrètes, réalisables et vérifiables, l'apaisement immédiat des hostilités et la négociation d'un cessez-le-feu à plus long terme associant l'organe de vérification désigné, qui pourrait en garantir l'application effective.
63. Le 27 janvier, un attentat à la bombe perpétré par l'ELN contre un commissariat à Barranquilla a fait 7 morts et plus de 40 blessés parmi les policiers, ce qui a conduit le Gouvernement à suspendre de nouveau sa participation aux pourparlers. Les forces armées, qui menaient des opérations contre l'ELN depuis la fin du cessez-le-feu, ont reçu l'ordre de répondre par la force. Le 30 janvier, elles ont bombardé un camp de l'ELN dans le département de Chocô et, les jours suivants, elles ont annoncé qu'elles avaient capturé des membres de l'ELN.
64. Après la fin du cessez-le-feu temporaire, des pans entiers de la société colombienne ont exprimé avec force leur rejet de la violence et réclamé une solution pacifique au conflit. Le 26 février, l'ELN a annoncé une cessation unilatérale des offensives militaires du 9 au 13 mars pour que les élections puissent se dérouler sans incident. Le 12 mars, le Président a annoncé qu'il avait donné pour instruction à son équipe de négociateurs de retourner à Quito, prenant acte des encouragements nationaux et internationaux en faveur de la reprise des pourparlers. Le 15 mars, la cinquième série des pourparlers de paix a débuté et les délégations ont publié une déclaration conjointe, dans laquelle elles ont exposé leurs priorités, à savoir la participation de la société au processus de consolidation de la paix, l'évaluation du cessez-le-feu temporaire et la négociation d'un nouveau cessez-le-feu, la promotion de la conclusion d'un accord humanitaire dans le Chocô, la progression du déminage et la sensibilisation du public afin de mieux faire comprendre le processus de paix. La cinquième série de pourparlers doit prendre fin le 18 mai.
G. Questions transversales
Prise en compte de la problématique femmes-hommes et échanges avec les groupes de femmes
65. L'application des dispositions sur les garanties de sécurité et la réintégration visant spécifiquement les femmes reste limitée. Il est indispensable de hiérarchiser les priorités et de mobiliser les ressources voulues pour prendre des mesures réelles et adaptées afin de réintégrer correctement les anciennes membres des FARC-EP et assurer la sécurité des femmes. Le groupe de travail chargé de la problématique femmes-hommes du Conseil national de réintégration, avec lequel la Mission travaille en étroite coordination, a favorisé l'adoption de mesures visant à ce que la réintégration tienne compte des disparités entre le sexes, notamment une analyse de la situation des ex-combattantes et la conception d'une stratégie de réintégration adaptée. En concertation avec le Forum spécial de haut niveau pour les femmes, le groupe de travail contribue de manière déterminante à répondre aux besoins des femmes et à systématiser la prise en compte de la problématique femmes-hommes.
66. Conjointement avec ONU-Femmes, la Mission continue d'intensifier les échanges avec les organisations de femmes et d'examiner leurs recommandations. Au niveau régional, elle encourage le dialogue entre les ex-combattantes des FARC-EP et les femmes des communautés environnantes. Lors de la Journée internationale des femmes, elle a appuyé plus de 15 manifestations organisées dans différents secteurs territoriaux de formation et de réintégration et dans les communautés voisines afin de favoriser le dialogue et la réconciliation.
67. À l'heure actuelle, la Mission dispose, au sein de ses antennes locales, d'un réseau de 41 responsables de la coordination des questions d'égalité des sexes qui encouragent la coordination entre les organisations de femmes, les homologues gouvernementaux, les points de contact des FARC pour les questions d'égalité des sexes et les organismes des Nations Unies.
Protection de l'enfance
68. La Mission continue de communiquer avec la Conseillère présidentielle pour les droits de l'homme s'agissant de la mise en œuvre du programme public de réintégration des enfants associés aux FARC-EP intitulé « Un autre chemin de vie ». Elle observe la suite donnée aux affaires de 21 enfants sur les 135 qui faisaient partie des FARC et en ont été officiellement libérés. La réintégration de ces jeunes est d'autant plus difficile que, pour les enfants de 18 ans, toute aide financière est conditionnée à la présence d'un tuteur légal, que les adolescents sont soumis à des délais lorsqu'ils passent au programme de réintégration pour les adultes et que la prise en charge de ceux qui ont décidé de vivre dans un secteur territorial de formation et de réintégration ne va pas sans difficultés. Certains de ces obstacles ont été surmontés et la Mission a constaté que huit de ces enfants avaient accompli des progrès scolaires, que huit avaient bénéficié d'un appui financier et que la majorité d'entre eux avaient obtenu des documents d'identité officiels. En février, le Conseil national de réintégration a approuvé des principes directeurs détaillés pour la réintégration des enfants, prévoyant notamment des indicateurs, une stratégie de suivi et une stratégie de soutien psychologique pour le programme de réintégration. Il importe de veiller à la bonne mise en œuvre de ces principes directeurs. Il faut aussi un guide clair et largement diffusé sur le passage au programme de réintégration pour les adultes. À ce jour, 83 des participants au programme ont plus de 18 ans et 114 atteindront cet âge avant la fin de l'année.
69. Les enfants des anciens membres des FARC-EP qui vivent dans les secteurs territoriaux de formation et de réintégration ne bénéficient ni d'un suivi spécialisé suffisant ni d'équipements adaptés. Ainsi, seuls deux de ces secteurs territoriaux disposent de services de garderie pleinement opérationnels. La Mission travaille en coordination avec l'Institut colombien de protection de la famille et l'UNICEF afin d'améliorer les conditions de vie de ces enfants. Dans quelques-uns des secteurs territoriaux, l'Institut a facilité l'accès des enfants à l'éducation, à la santé et aux loisirs. Des progrès modestes ont été réalisés concernant leur inclusion dans les programmes sociaux destinés à leurs parents. Les autorités ont lancé dans 166 municipalités un programme complet de prévention du recrutement des enfants par des groupes illégaux, ce qui est une évolution bienvenue.
Questions ethniques et autochtones
70. La prise en compte des considérations ethniques et culturelles dans le processus de réintégration et les garanties de sécurité n'a guère progressé. Le Forum de haut niveau pour les peuples autochtones créé en vertu de l'Accord de paix manque de ressources. Dans une décision de décembre 2017, la Cour constitutionnelle a confirmé le droit du peuple Yupka d'être consulté au préalable au sujet de la délimitation du secteur territorial de formation et de réintégration de San José de Oriente, et demandé au Gouvernement de réexaminer la question. Quatre textes législatifs présentés au Congrès dans le cadre des procédures législatives accélérées ont fait l'objet de consultations avec des organisations ethniques et autochtones.
71. L'élaboration en cours d'un décret visant à la réintégration de 3 003 excombattants autochtones est un pas dans la bonne direction. Il importera que le Conseil national de réintégration veille à ce que les ex-combattants autochtones puissent jouir de droits et de perspectives comparables à ceux des autres anciens membres de FARC-EP, renforce les dispositifs de sécurité et d'autoprotection des peuples ethniques, tels que la Garde autochtone et la Garde marronne, et assure la coordination effective de ces dispositifs avec les forces de sécurité.
72. La Mission continue d'entretenir le dialogue avec les organisations ethniques et d'aider les organismes nationaux d'exécution à tenir compte des considérations ethniques. Elle a par ailleurs recruté un conseiller pour les affaires ethniques et autochtones.
H. Liaison et coordination, y compris avec l'équipe de pays des Nations Unies
73. La Mission poursuit ses échanges réguliers avec un large éventail d'acteurs, notamment les autorités nationales, régionales et locales, les organisations de la société civile, le secteur privé et la communauté internationale.
74. Grâce à ces échanges, la Mission a apporté son concours aux initiatives de réconciliation dans plusieurs régions. Ainsi, à Valledupar, elle a contribué à organiser des rencontres entre des propriétaires fonciers locaux, des victimes et des excombattants, à Medellin, elle a accompagné les échanges entre dirigeants politiques adverses et à Villavicencio, elle a encouragé des représentants du secteur privé et des FARC à se rencontrer.
75. À l'appui de la consolidation du processus de paix, la Mission a continué à dialoguer avec les acteurs que le processus de paix laisse sceptiques ou avec ceux qui s'y opposent. Cette activité contribue beaucoup à ce que la Mission saisisse mieux le contexte politique, notamment s'agissant des sujets tels que le système de justice transitionnelle, les problèmes de sécurité et le contexte électoral. La Mission s'est efforcée de faire comprendre à ses interlocuteurs qu'indépendamment des divergences partisanes, la pleine réintégration des ex-combattants à la vie civile, la sécurité des communautés et la stabilisation des zones touchées par le conflit concernaient tout autant la sécurité nationale à long terme que la mise en œuvre du processus de paix.
76. La Mission continue de travailler en étroite collaboration avec l'équipe de pays des Nations Unies aux niveaux national et local et avec les représentants de la communauté internationale en Colombie. En plus d'échanger en permanence des informations et des données d'analyse, elle a œuvré aux côtés des entités des Nations Unies et des donateurs afin de mobiliser un appui supplémentaire pour les initiatives de réintégration.
IV. Structures de la Mission
Reconfiguration et opérations de la Mission
77. Ma Représentante spéciale adjointe, Jessica Faieta (Équateur), est arrivée au sein de la Mission le 19 mars 2018. Elle remplacera Tania Patriota.
78. À l'heure actuelle, la Mission compte 311 agents civils, dont 151 femmes, et 118 observateurs internationaux, dont 31 femmes, venant de 18 pays. Au cours de la période considérée, elle a réduit son taux de vacance de postes de 35 % à 29 % pour le personnel recruté sur le plan international et de 42 % à 37 % pour le personnel recruté sur le plan local.
79. À la suite de l'expiration du cessez-le-feu entre le Gouvernement et l'ELN, les 30 équipes de la Mission chargées de la vérification du cessez-le-feu ont cessé toutes leurs activités opérationnelles et les 70 observateurs internationaux dépêchés dans ce cadre ont été progressivement rapatriés entre le 15 janvier et le 3 février.
Appui à la Mission
80. Au cours de la période considérée, la Mission s'est surtout attachée à achever le déploiement de son personnel et de son équipement au quartier général et dans les 10 bureaux régionaux, les 7 antennes sous-régionales et les secteurs territoriaux de formation et de réintégration, ainsi que le retrait des moyens qui avaient été accordés à partir des ressources existantes aux équipes pour surveiller le cessez-le-feu entre l'ELN et le Gouvernement.
81. En ce qui concerne les 25 sites locaux, des camps temporaires ont été construits sur 15 emplacements précédemment occupés par le Mécanisme tripartite de surveillance et de vérification. Sept d'entre eux disposent de bureaux et huit de bureaux et de logements. Ces camps temporaires permettent à la Mission d'être déployée à proximité des secteurs territoriaux de formation et de réintégration en attendant que des logements plus solides et plus durables soient construits. Ils ont été équipés de dispositifs adéquats de gestion de l'eau et des eaux usées, conformément aux directives du Département de l'appui aux missions relatives à l'atténuation de l'empreinte écologique de la Mission. Plusieurs anciens sites du Mécanisme ne sont pas encore occupés en raison de problèmes juridiques avec des propriétaires fonciers et les communautés locales. Concernant les 10 sites restants, le personnel de la Mission partira des villages alentours plutôt que des camps provisoires pour se rendre dans les secteurs territoriaux. Aux niveaux régional et subrégional, de nouveaux bureaux ont été trouvés quand les accords de partage des coûts conclus par la Mission précédente ont pris fin.
Sûreté et sécurité du personnel des Nations Unies
82. Les niveaux de risque résiduel pour la Mission n'ont pas changé depuis le rapport précédent. Toutefois, compte tenu de l'évolution des conditions de sécurité et notamment de l'expiration du cessez-le-feu entre l'ELN et le Gouvernement, des mesures spécifiques ont été mises en œuvre dans certaines zones de déploiement de la Mission, notamment des mesures destinées aux femmes. Les niveaux de risque résiduel relatifs aux principales menaces constatées (enlèvements, tirs croisés, manifestations violentes, harcèlement sexuel et violences sexuelles) oscillent entre faible et moyen.
Déontologie et discipline
83. Au cours de la période considérée, la Mission a continué d'intensifier la prévention. Elle a organisé des séances de formation du personnel au quartier général et dans les antennes locales ainsi que des formations avec des représentants de la société civile. Le dialogue en cascade annuel auquel ont participé des membres du personnel travaillant au quartier général et sur le terrain a constitué une autre occasion d'échanger sur les questions de déontologie telles que l'exploitation et la violence sexuelles, le harcèlement et l'abus d'autorité sur le lieu de travail et le conflit d'intérêts.
84. Aucune faute disciplinaire n'a été signalée au cours de la période à l'examen.
V. Observations
85. Les élections législatives qui se sont tenues le 11 mars ont marqué une nouvelle étape importante de la transition des armes à la politique pour les FARC et sont un pas de plus vers la paix en Colombie. Le taux de participation permet de confirmer que le pays n'avait pas connu d'élections aussi ouvertes depuis des décennies, ce qui accroît la légitimité du résultat des élections et donne à voir ce que la paix apporte à la démocratie colombienne. Cela montre aussi que la population colombienne est prête et disposée à saisir les possibilités découlant de la réduction globale de la violence grâce au processus de paix. L'élection présidentielle se tiendra dans deux mois. J'appelle les partis politiques participant aux élections à marginaliser encore davantage la violence et à faire en sorte qu'un nouveau jalon soit atteint dans la consolidation d'une vie politique pacifique et ouverte à tous.
86. Les meurtres d'ex-combattants en dehors des secteurs territoriaux de formation et de réintégration restent source de préoccupation. Parallèlement, des progrès ont été accomplis en ce qui concerne la sécurité des ex-combattants qui vivent dans les secteurs territoriaux et leur protection par les forces de sécurité lorsqu'ils quittent la zone. Des difficultés techniques et des problèmes de coordination subsistent, mais l'engagement de l'Unité nationale de protection et des forces de sécurité constitue une base solide qui permettra d'étendre les garanties de sécurité dans les semaines et les mois à venir.
87. La réintégration socioéconomique est à la traîne. La réinsertion rapide n'a toujours pas donné lieu à une réintégration durable, et , laissés dans l' incertitude, les anciens membres des FARC-EP doutent de plus en plus de leur réintégration et du processus de paix lui-même. Certaines bases sont mises en place, en particulier le cadre juridique régissant l'accès à la propriété foncière, les études techniques relatives au lancement des projets productifs et la réglementation financière qui permettra à des dizaines de coopératives créées par d'ex-combattants de commencer à fonctionner. Il est indispensable que toutes ces mesures se traduisent dans les trois prochains mois par des résultats concrets dans les secteurs territoriaux de formation et d'intégration ainsi que dans certaines des nouvelles zones d'installation où nombre d'ex-combattants se sont établis. Je me réjouis que la communauté internationale se montre de plus en plus désireuse de contribuer à la réussite de cette dimension essentielle du processus de paix.
88. Comme je l'ai fait remarquer dans mon rapport précédent ainsi que dans celui-ci, la résurgence de la violence dans plusieurs des zones les plus touchées par le conflit et la persistance des assassinats de responsables locaux et de figures de la société civile constituent aujourd'hui la principale source de préoccupation. Je me réjouis que ces questions fassent désormais partie des priorités du Président et des institutions clefs de l'État colombien, à savoir le Défenseur du peuple, le Procureur général et l'Inspecteur général. Il émerge un consensus national clair, les institutions colombiennes et la société civile s'entendant pour protéger la vie, le travail et la contribution des responsables locaux et des figures de la société civile, en particulier de ceux qui encouragent la substitution des cultures de coca, la restitution des terres et la protection des ressources et de l'environnement.
89. Il faut profiter de ce consensus pour prendre des mesures concertées et énergiques au cours de la période à venir, et la Commission nationale des garanties de sécurité pourrait jouer un rôle moteur. Certains facteurs de réussite sont déjà connus, notamment l'adoption d'une approche plus collective de la protection des populations vulnérables, la fourniture de biens et de services parallèlement au déploiement des forces de sécurité afin de contrer l'influence des groupes armés illégaux, et la mise en place de dispositifs institutionnels plus robustes, mieux financés et mieux coordonnés afin de répondre aux alertes précoces du Défenseur du peuple. Les enquêtes du Bureau du Procureur général, et en particulier de son Unité spéciale d'investigation chargée des affaires concernant les responsables locaux et les figures de la société civile, sont appelées à avoir un rôle décisif. L'aboutissement des poursuites engagées contre les auteurs et les commanditaires des nombreux assassinats perpétrés ces dernières années pourrait être le moyen le plus efficace de montrer la détermination du pays à faire cesser la violence.
90. La reprise des négociations entre le Gouvernement et l'ELN pourrait contribuer à l'effort global de lutte contre la violence et ses causes profondes. Il est à espérer qu'elle s'accompagne d'un apaisement du conflit. Le programme de travail des parties récemment annoncé représente un bon compromis entre les mesures politiques, militaires et de confiance. J'attends sa mise en œuvre effective avec impatience.
91. Lors de ma visite en Colombie en janvier 2018, j'ai souligné que ma mission était une mission de solidarité et d'engagement envers le peuple colombien à un tournant historique pour le pays, l'Amérique latine et le monde. L'évolution de la situation en Colombie reflète à la fois les facteurs de succès et l'ampleur des difficultés, à présent qu'au déroulement presque irréprochable du cessez-le-feu et du dépôt des armes par les FARC-EP doit succéder une tâche redoutable : rompre avec une tradition de violence profondément ancrée, lutter contre l'économie illicite qui alimente la violence et instaurer une paix durable en étendant aux zones historiquement marginalisées du pays et à leurs habitants, qui ont été les principales victimes du conflit, la gouvernance participative, la sécurité et le développement. La Mission, l'équipe de pays des Nations Unies et le système des Nations Unies dans son ensemble sont déterminés à prendre part à cet effort. À cette étape cruciale du processus de paix en Colombie, la communauté internationale reste un partenaire essentiel et je l'encourage à continuer d'appuyer pleinement cette entreprise.
Notes :
1. Le Programme national intégral de substitution des cultures illicites, prévu au point 4 de l'Accord de paix, bénéficie de l'appui et du suivi de l' Office des Nations Unies contre la drogue et le crime. [Retour]
2. Dans son rapport annuel portant sur l'année 2017 (A/HRC/37/3/Add.3), le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a fait état de 121 meurtres de défenseurs des droits de l'homme, dont des figures de la société civile et des responsables locaux. Parmi les victimes, 84 étaient des défenseurs des droits de l'homme de premier plan, 23 étaient membres de mouvements sociaux et politiques et 14 personnes ont été tuées lors de manifestations. Au total, 14 femmes figuraient parmi les victimes, soit le double de l'année précédente. [Retour]
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