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17jan14
À propos du puits Margarita X 6
Le 23 décembre 2013, lors d'une conférence de presse, notre président Evo Morales annonçait fièrement que le puits Margarita X 6 produisait désormais 6 millions de mètres cubes par jour. Un record !
Par contre, ce qu'il n'a pas dit, pas même le jour de l'inauguration de la deuxième phase du projet Margarita, le 1er octobre 2013, c'est que ce puits se trouve sur la Terre communautaire d'origine (TCO) Itika Guasu, appartenant à l'Assemblée du peuple guarani Itika Guasu (APG IG).
Cet oubli témoigne non seulement du mépris existant à l'encontre d'un peuple, mais aussi du refus de reconnaître que les démarches entreprises par cette organisation autochtone constitue la preuve tangible que l'exercice du droit indigène à la consultation préalable n'est en aucun cas un frein au développement énergétique du pays et ne représente pas un obstacle à la mise en oeuvre des politiques du gouvernement d'Evo Morales.
Voyons pourquoi:
1. L'APG IG et le conflit avec REPSOL
Quand l'entreprise Repsol débuta ses opérations sur la TCO Itika Guasu, elle dut faire face à un conflit avec l'APG IG, qui tirait son origine dans la non-reconnaissance de l'APG IG comme titulaire de droits. C'est pourquoi Repsol, invoquant les autorisations octroyées par l'État bolivien, obtint la licence environnementale sans le consentement du propriétaire du territoire sur lequel elle opérait.
Le premier épisode provoqué par ces décisions eut lieu en 2003 : à cause des pressions exercées, l'APG IG et Repsol parvinrent à un accord de relations passablement déficitaire en ce qui concernait les droits indigènes.
Dans l'espoir de voir se réaliser des changements substantiels, l'APG IG rencontra le 17 février 2006, lors d'une réunion historique, le président Evo Morales Ayma et le vice-président Alvaro García Linera, pour demander l'intervention protectrice de l'État et ainsi mettre fin au conflit.
Le réponse du président ne se fit pas attendre. Deux semaines plus tard, une commission emmenée par le président de YPFB se présenta sur la TCO Itika Guasu et une série d'irrégularités, fruits de la méthode contraire au respect des droits des autochtones qui avait été employée, furent constatées in situ.
Toutefois, l'attitude des ministres et vice-ministres et de l'entreprise publique YPFB obligea l'APG IG à trouver une solution par elle-même, puisque les autorités, en totale méconnaissance du principe selon lequel les États sont garants des droits, ne cessèrent de répéter que le conflit entre l'APG IG et Repsol SA était une "affaire entre privés".
L'APG IG mit finalement un terme au conflit le 29 décembre 2010 grâce à la signature de la convention régulant la relation entre l'organisation et la multinationale, dont la durée équivaut à la durée du contrat d'exploitation souscrit ente la Bolivie et Repsol Bolivia SA.
Cet accord, dans lequel le droit autochtone est pleinement appliqué, est le premier de ce genre en Bolivie ou même en Amérique latine. Grâce à cet accord, Repsol Bolivia SA et les autres entreprises prenant part au contrat d'exploitation (British Gas, British Petroleum et E&P) reconnaissent juridiquement l'APG IG comme propriétaire de la TCO IG ainsi que le droit autochtone, ce qui a permis de régulariser les licences obtenues illégalement et d'ouvrir une nouvelle ère dans les relations entre le peuple autochtone et l'entreprise, rendant ainsi possible la mise en oeuvre et la coordination du plan de développement fixé par Repsol Bolivia SA avec YPFB dans des conditions tout à fait normales.
2. L'APG IG et ses succès attaqués sans pitié
La convention signée entre Repsol et l'APG IG a fait couler beaucoup d'encre : de nombreux qualificatifs ont voulu faire passer l'APG IG pour une organisation "vendue" ; d'autres spéculations voulaient que les bénéficiaires de la convention n'étaient pas les indigènes, mais les ONG.
Apparemment, l'objet du délit serait la compensation dont ont bénéficié les Guaranis d'Itika Guasu et, pis encore, la transformation de cette compensation en un fonds d'investissement leur appartenant pour répondre à leurs besoins en matière de santé, d'éducation et de production.
Aujourd'hui encore, les mots qui avaient été colportés par les médias et sur Internet, continuent de se propager : l'APG IG était une organisation qui ne voyait que l'argent ; elle était sur le point de devenir une républiquette ; elle utilisait l'exercice de son droit à la consultation pour remplir les poches de ses conseillers. Il suffirait de relire les articles publiés par la presse de Tarija entre octobre 2011 et avril 2012.
On a même appris que le ministère enjoignait aux entreprises de ne pas emboîter le pas à Repsol ; en d'autres termes, de ne pas respecter le droit autochtone ni le droit à la consultation.
L'affaire a pris une telle ampleur que le cabinet d'Evo Morales a travaillé officieusement sur une proposition de loi sur la Consultation préalable pour "garantir" que la situation survenue le 29 décembre 2010 en faveur de l'APG IG ne se répète plus.
3. Un arrêt de la Cour constitutionnelle qui nous donne raison
Les peuples autochtones en Bolivie ont-ils des droits de propriété ? Ou, comme on disait au temps de la colonie : les indigènes ont-ils une âme ? Cela semble être la logique générale lorsque l'on parle des droits autochtones ; logique absolument compréhensible de la part d'un gouvernement départemental dirigé par Mario Cossio qui, en février 2008, introduisit une demande d'amparo contre Never Barrientos, président de l'APG IG. De quel délit l'accusait-t-on? Avoir demandé une consultation pour chaque intervention faite sur le territoire de l'APG IG.
Au sujet de cette procédure d'amparo, la justice de Tarija se prononça d'abord en faveur de la préfecture dirigée par Mario Cossio et contre Never Barrientos et l'APG IG. En d'autres mots, aux yeux du juge et du parquet d'Entre Ríos et de Tarija, l'APG IG n'avait pas le droit de réclamer la consultation.
Cependant, le 25 octobre 2010, la plus haute instance judiciaire bolivienne, la Cour constitutionnelle, mit un terme à cette violation du droit interne et international protégeant les droits des peuples autochtones sur leurs terres et territoire, en se prononçant sur le recours d'amparo qui lui avait été soumis. Ce jour-là, la Cour émit l'arrêt 2003/2010-R, révoquant le jugement du 29 février 2008 rendu par le Tribunal de Sentencia de la province d'O'Connor de la Cour supérieure du district judiciaire de Tarija et exposant de manière magistrale en quoi consiste le droit autochtone au territoire et à la consultation et comment il doit être appliqué.
Cet arrêt, notifié à l'APG IG des mois plus tard, ne fait que confirmer que la convention signée entre Repsol et l'APG IG le 29 décembre 2010 allait dans la bonne direction.
Cet arrêt apporte en outre les éclaircissement nécessaires pour que le comportement des fonctionnaires (ministres, vice-ministres, etc.) soit conforme au droit.
Nous avions écrit à l'époque qu'au regard des dispositions de l'arrêt 2003/2010-R, les actions entreprises et les événements survenus lors du conflit du TIPNIS n'avaient aucune raison d'être.
Pourtant, le ministre des Hydrocarbures s'entêta sans aucun scrupule et voulut très injustement contourner les obligations constitutionnelles. Il ne put cependant pas arriver à ses fins car le peuple, comme beaucoup dirait, s'est émancipé.
Cette grande nouvelle doit nous faire réfléchir.
Aujourd'hui, à la fin de l'année 2013, en voyant tout ce qui s'est passé au cours de ces trois longues années, c'est agréable de savoir que le président se réjouit du succès du puits Margarita X 6. Mais c'est agaçant de savoir que son entourage continue de lui répéter que l'exercice des droits autochtones est préjudiciable, qu'établir des relations respectueuses en toute égalité juridique fait fuir les investissements et que travailler avec les peuples autochtones ne peut se faire qu'avec l'aumône, la cooptation et l'assistanat perpétuel.
L'APG IG a fait savoir au ministre Sosa, par lettre notariée en janvier 2013, qu'elle n'était pas d'accord avec la proposition de loi sur la Consultation, car elle n'avait pas été consultée dans les termes établis par l'arrêt de la Cour constitutionnelle 2003/2010-R, qui doit être respecté.
Cela signifie que la proposition viole la convention n° 169 de l'OIT, élevée au rang de loi par la loi 1257, et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, élevée au rang de loi par les lois 3760 et 3897.
La question à mille francs est alors la suivante : quand auront-ils compris que les actions entreprises par l'APG IG n'ont pas pour but d'obstruer mais de construire ?
Espérons qu'en janvier 2014, après l'évaluation de gestion effectuée par le cabinet, comme a coutume de le faire le président Evo Morales, il y ait eu une réflexion sur le succès du puits Margarita, qu'ils aient cessé de se voiler la face.
Messieurs les ministres, le puits Margarita est exploité au sein d'un territoire autochtone et l'APG IG, en tant que propriétaire de ce territoire, en exigeant la consultation, non seulement n'a pas freiné le développement, mais a permis aux Boliviens et Boliviennes, grâce à la reconnaissance de son droit au territoire et, par conséquent, à la consultation, de bénéficier de ressources naturelles telles que le gaz du puits Margarita X 6.
[Source: Par Henrry Moisés Guardia Mérida, Guaye, 17jan14]
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