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1976-2001: 25 anes d'impunité
Chronique d'une déliquescence économique.
Par Hugo Pot. Ancien prisonnier politique.
Au départ, la junte prit le pouvoir dans un pays qui, certes se portait mal, mais pouvait encore retrouver son éclat d'antan. Moins de dix ans plus tard, quand la junte remit le pouvoir aux civils, l'économie argentine était totalement saccagée, plombée par une dette publique gigantesque et sa classe politique sans véritable projet. Si bien qu'aujourd'hui encore l'Argentine se débat avec le legs empoisonné des militaires.
Ce texte militant retrace la chronologie des faits.
Au milieu des années 70, la distribution des richesses en Argentine atteint son niveau le plus généreux, presque 50 % de la production nationale se retrouve dans les mains des travailleurs salariés tandis que le plein emploi atteint un sommet. Ce sont les derniers sursauts du projet national démarré trente ans plus tôt sous la houlette de Juan Domingo Perôn. Ensuite la situation économique s'effondrera. De grandes luttes populaires et ouvrières résistent en juillet-août 1975 à l'avènement de ce qui sera un an plus tard le coup d'État militaire, avec sa politique d'extermination physique de tous ceux qui s'opposeraient à l'instauration du plan économique néolibéral, ébauché par un oligarque connu, associé aux multinationales d'alors : José Alfredo Martinez de Hoz nommé ministre de l'Économie par la junte.
«Honorer ses dettes»
La répression systématique s'est aussi orientée vers les dirigeants et les organismes de la bourgeoisie nationale qui voyaient pourtant quelques perspectives intéressantes s'ouvrir à eux avec l'arrivée des uniformes.
Durant la période de la dictature militaire, la destruction de l'appareil productif se poursuivit avec une force irrésistible et remplit les coffres des entrepreneurs qui pourvoyaient l'État, avec des prix plusieurs fois supérieurs à ce que valait réellement ce qu'ils fournissaient. La dette publique quant à elle se monte alors 43, 5 milliards de dollars (+/- 2000 milliards de FB). Durant les 25 années qui vont suivre, cette dette servira de prétexte pour liquider ce qui reste d'Etat.
Pourtant, l'avènement de la démocratie avec Alfonsin en 1983 souleva une vague d'espoir, sous le slogan : «Avec la démocratie on maneton est éduqué, on vit...».
Les premières frustrations ne tarderont pas à venir. Bernardo Grinspun, ministre alfonsiniste de l'Economie, s'attache à renouer avec la situation des années 70 et une meilleure distribution du PIB, mais il est rapidement destitué et remplacé par Sourrouille, plus proche des destins à venir. Le gouvernement veut «honorer» la dette contractée parla junte auprès des entrepreneurs qui ont saigné l'Etat pendant des années en tirant des masses de bons d'Etat.
Nouvelle politique
En 1989, l'arrivée de Menem au pouvoir inaugure un nouveau train de spoliation de l'Etat avec les privatisations. Les entreprises publiques argentines (chemins de fer, routes, télécommunications, poste, pétrole, sidérurgie...) étaient le fruit de l'effort laborieux et la fierté de plusieurs générations d'Argentins. Il fut un temps où elles soutenaient l'Etat Providence et assuraient le bien-être des secteurs les moins protégés de la société, comme la possibilité d'ascension sociale.
Les grands groupes nationaux se sont associés aux créanciers pours'approprier ces entreprises à vil prix, avec des tarifs augmentés, desemployés licenciés et une clientèle captive.
Tout au long des années 90, gouvernants et politiciens se sont gardés de résister à ces politiques. Au contraire, ils adoptèrent et popularisèrent le discours dominant selon lequel la privatisation est l'unique manière de s'adapter à l'avènement du monde globalisé, le fameux «village planétaire».
Ce discours, qui dévalorisait etdiscréditait «pour inefficacité» toute entreprise de l'Etat, pénétra effectivement dans la population, fatiguée du gaspillage et de la bureaucratisation qui régnait dans tout ce qui avait à voir, de près ou de loin, avec l'État.
Alors celui-ci s'est déchargé, cédasse parts à vil prix et sous contrats léonins. La corruption des dirigeants de tout poil atteignit des niveaux jamais vus dans le pays, par son amplitude et son impunité.
Si riche et si pauvre
Comme résultat de la spoliation agressive dont le pays a souffert d'administration en administration durant le dernier quart de siècle, nous entrons dans le XXIe siècle avec un pays reposant sur autant de richesses naturelles que de pauvreté et de misère pour presque un tiers de ceux qui le foulent.
Les grandes entreprises traditionnelles se sont pratiquement toutes internationalisées dans la perspective que le MERCOSUR (le grand marché sud-américain) ouvre un vaste marché de consommateurs. Tandis que les petites et moyennes industries sont a. bout de souffle après des années de récession, la bourgeoisie agraire est forcement endettée et les banques sont presque totalement aux mains des multinationales. Tout ceci laisse à nu la bourgeoisie argentine qui ne montre pas l'intention, et encore moins la capacité de mobilisation politique, de défendre ses propres intérêts face à l'assaut du capital multinational,
Mais il y a plus grave. La classe ouvrière se paupérise chaque jour un peu plus. Ecartée depuis trois générations de touc circuit productif, elle est complètement éclatée et connaît la drogue, la délinquance, la malnutrition... la faim. Cette transition n'a pas manqué de susciter des résistances publiques ou non. Dans leur majorité, ces résistances restèrent sectorielles ou régionales, sans obtenir de continuité soutenue et n'eurent que peu d'opportunités de se généraliser à tout le pays.
De la même façon, les confrontations sociales n'ont pas réussi non plus à s'exprimer politiquement. La fraction dominante de la bourgeoisie constamment réussi à les rejeter et les isoler avec diverses méthodes, et n'a pas hésité quand il a fallu réprimer férocement, y compris en recourant à la gendarmerie comme force professionnelle de choc dans les situations où les luttes dépassaient les forces de police.
Un souffle nouveau
En décembre 1999, Fernande de la Rua, représentant de la Alianza, assume le pouvoir. Il se montre aussi inflexible, hautain et indigne avec ses concitoyens, qu'il est soumis, diligent et à genoux pour remplir les mandats des institutions financières internationales. Une fois de plus, l'administration en place trahit son discours
électoral dès ses premiers pas.On peur avoir l'impression encourageante que le projet néolibéral à outrance, appliqué de façon uniforme sur toute l'Amérique latine avec les mêmes résultats -grandes concentrations économiques qui bénéficient à un groupe réduit de privilégiés grâce à des transferts de richesses phénoménales avec plus de spoliation et d'injustice pour ceuxqui travaillent-commence à s'ébrécher sous certaines latitudes américaines, Hugo Chàvez au Venezuela ou ces nouvelles forces électorales qui grandissent au Brésil ou en Uruguay...
De nos jours, en Argentine, il semble qu'un ample espace social alternatif et de recherche de nouveaux projets politiques, s'ébauche. II faudra être attentif au développement de cet espace dans un futur immédiat. Il n'est certes pas absurde de penser que les secteurs populaires dans leur ensemble puissent former les grandes lignes de leur propre proposition qui représentera réellement leurs intérêts et le motivera à lutter pour inverser une situation de stagnation et d'injustice à ce point décadente.
Il n'y a aucun doute qu'en Argentine, l'un des plus gros producteurs d'aliments du monde, le fait que certains ne peuvent donner à manger à leurs enfants, est -pour le moins- schizophrénique.
[Source: Demain Le Monde, Bruxelles, Belgique, février 2001]
DDHH en Argentina
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